Par sensibilité climatique, on entend le réchauffement de la surface de la planète résultant d’un doublement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère par rapport aux niveaux préindustriels. Cette question est au cœur de la science du climat : en effet, le niveau de CO2 est passé de 280 parties par million (ppm) à environ 408 ppm aujourd’hui . En l’absence de mesures visant à réduire les émissions, les concentrations pourrait donc atteindre 560 ppm, soit le double de ses niveaux préindustriels vers 2060.
Une physique simple montre un réchauffement d’un peu plus de 1° C pour un doublement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, en l’absence de rétroactions qui peuvent amplifier ou atténuer l’effet du réchauffement. Ce sont ces rétroactions qui ont conduit le GIEC à estimer un niveau de réchauffement se situant dans une fourchette large allant de 1°C à 4,5 °C qui est resté la même depuis le rapport Charney en 1979. Près de 40 ans plus tard, la meilleure estimation de la sensibilité n’a pas varié. Cela conduit à se demander pourquoi il y a eu si peu de progrès dans l’estimation de la sensibilité du climat. Pierre Morel, fondateur du Laboratoire de Météorologie Dynamique et ancien secrétaire général du programme mondial de recherche sur le climat proposait en 2009 cette réponse :
Le problème, c’est que les modèles de climat ne représentent pas la réalité. Ils font des moyennes sur des surfaces de l’ordre de 10 000 km2 minimum ou de 100 000 km2. Et par conséquent bien entendu dans un bloc de fluide de cette ampleur, on ne peut pas représenter les détails. Donc au lieu de représenter les détails, ils utilisent des formules empiriques pour représenter plus ou moins l’effet sur les différents flux. Mais alors ces formules empiriques, elles ont des coefficients, arbitraires, qu’il faut ajuster. Effectivement, on les ajuste. Mais comment est-ce qu’ils les ajustent ? Ils les ajustent plus ou moins en essayant de reproduire le cycle saisonnier et comme on fait ça depuis tout le temps, depuis toujours, on a toujours le même résultat. En effet, il y a trente ans, les premiers modèles, les plus simples, vraiment primitifs, extrêmement simplistes donnaient exactement les mêmes résultats que maintenant. La fourchette, la fameuse fourchette de 1,5 à 4,5°C qui est publiée partout, existait, il y a trente ans. C’était la même fourchette parce que c’est le même cycle saisonnier .
1. Les différentes estimations de la sensibilité climatique
Les scientifiques utilisent deux mesures [1] principales de la sensibilité au climat :
- La réponse climatique transitoire (TCR), définie formellement comme le réchauffement consécutif à une augmentation de 1% par an de la concentration de CO2 dans l’atmosphère pendant 70 ans, point auquel le CO2 atmosphérique aura doublé ;
- La sensibilité climatique à l’équilibre (ECS) tient compte du temps au climat de la Terre pour s’adapter aux changements de la concentration de CO2. Il diffère de l’ECS car la répartition de la chaleur entre l’atmosphère et les océans n’a pas encore atteint l’équilibre. Par exemple, la chaleur supplémentaire piégée par un doublement du CO2 mettra des décennies à se disperser dans les profondeurs de l’océan. L’ECS est la quantité de réchauffement qui se produira une fois que tous ces processus auront atteint l’équilibre.
Notons d’abord que la définition du TCR est fondée sur l’hypothèse que la concentration en CO2 à partir de l’époque préindustrielle (280 ppm en 1880 par hypothèse) augmente de 1% par an (croissance géométrique) jusqu’à être multipliée par 2. Ce doublement aurait dû être atteint en 70 ans, c’est-à-dire en 1950. On en est loin. En réalité, comme la concentration actuelle est de 410 ppm, la croissance géométrique entre 1880 et 2018 a été de 0,28% par an. Depuis ces dernières années, la concentration observée augmente linéairement d’environ 2,5 à 3 ppm par an, ce qui fait 0,7% par an. Nous sommes toujours loin de 1% par an.
D’autre part, le TCR tend à être nettement inférieure à l’ECS : le cinquième rapport d’évaluation du GIEC (2013) indiquait une plage de réchauffement probable de 1,5° C à 4,5° C pour un doublement des concentrations de CO2 dans l’atmosphère, mais un TCR probable de 1° C à 2,5° C. C’est la réponse climatique transitoire qui est la plus pertinente pour prédire le réchauffement au cours des prochaines décennies car elle peut être mise en relation avec le réchauffement observé.
2. Les rétroactions principales sources d’incertitude
Le large éventail d’estimations de la sensibilité du climat dépend des incertitudes liées aux rétroactions climatiques qui sont des processus qui peuvent amplifier (rétroactions positives) ou atténuer (rétroactions négatives) l’effet du réchauffement dû à l’augmentation des concentrations de CO2 ou à d’autres forçages climatiques .
Les principales rétroactions concernent (notamment) l’évolution de la vapeur d’eau, des nuages, et la réflectivité de la surface (albedo).
La vapeur d’eau
La vapeur d’eau est elle-même un puissant gaz à effet de serre ; la science officielle postule que à mesure que la planète se réchauffera, la quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère augmentera, amplifiant ainsi l’effet de serre. L’augmentation de la teneur en vapeur d’eau de l’atmosphère n’est pas confirmée par les observations : dans son rapport 2018 sur le climat mondial, le GWPF indique :
« l’humidité atmosphérique spécifique s’avère stable ou augmente légèrement jusqu’à environ 4 à 5 kilomètre d’altitude. A des niveaux plus élevés dans la troposphère (environ 9 km), l’humidité spécifique a diminué pendant la période d’observation (depuis 1948. La diminution persistante de l’humidité spécifique à environ 9 km d’altitude est intéressante, car cette altitude correspond approximativement au niveau où l’effet théorique du dioxyde de carbone atmosphérique sur la température devrait initialement se manifester. Le dioxyde de carbone (CO2 est un gaz à effet de serre important, bien que moins important que la vapeur d’eau ».
Les nuages
Une atmosphère plus chaude et plus humide affectera également la couverture nuageuse. Cependant, il est beaucoup plus incertain de savoir comment les changements dans la couverture nuageuse influenceront la sensibilité du climat. Une augmentation des nuages de basse altitude aurait tendance à compenser une partie du réchauffement en réfléchissant davantage de lumière solaire vers l’espace, alors qu’une augmentation des nuages de haute altitude emprisonnerait une chaleur supplémentaire. Pendant ce temps, un déplacement des nuages bloquant le soleil des tropiques vers les pôles, où la lumière du soleil est moins intense, diminuerait leur pouvoir de blocage de la lumière du soleil. Les changements dans la composition des nuages ont également de l’importance : les nuages contenant davantage de gouttelettes d’eau sont «optiquement plus épais» et bloquent plus efficacement la lumière du soleil que ceux composés principalement de cristaux de glace.
Tout cela signifie que l’effet net global des retours en nuage est complexe et difficile à modéliser avec précision. La diversité des rétroactions liées aux nuages est considérée depuis le premier rapport du GIEC comme l’une des principales sources d’incertitude pour l’évaluation de la sensibilité climatique. C’est en effet pour la rétroaction nuageuse que l’on note la plus forte disparité entre les modèles.
L’albedo
En réduisant l’étendue de la glace et de la neige le réchauffement pourrait diminuer la réflexion des rayons du soleil, (l’albédo de la Terre ) et amplifier le réchauffement. Ce n’est pas ce qui se produit : dans son rapport 2018 déjà cité, le GWPF indique :
« Les variations de la couverture neigeuse globale sont principalement causées par des changements dans l’hémisphère nord, où se trouvent toutes les grandes zones terrestres. L’étendue de la couverture neigeuse de l’hémisphère sud est essentiellement contrôlée par la calotte glaciaire de l’Antarctique et est donc relativement stable. La couverture neigeuse moyenne de l’hémisphère Nord est également stable depuis le début des observations par satellite, bien que les variations inter annuelles locales et régionales puissent être importantes. Considérant les changements saisonniers depuis 1979 ».
C’est la combinaison de ces rétroactions qui convertit le réchauffement théorique d’environ 1°C pour un doublement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère en une plage incertaine de réchauffement possible, dans la fourchette de 1,5 ° C à 4,5 ° C. Il est intéressant de noter que dans son cinquième évaluation (2013) le GIEC a élargi sa plage de sensibilité par rapport à son quatrième rapport de 2007 (1,5° C à 4,5 ° C au lieu de 2°C à 4,5° C).
3. Les évaluations de la sensibilité climatique fournies à partir des données instrumentales sont plus faibles
Les estimations de la sensibilité climatique sont notamment basées sur des modèles, des observations ou encore des estimations paléo climatiques.
Il est intéressant de constater que les estimations basées sur des enregistrements climatiques instrumentaux montrent une sensibilité climatique moindre que les estimations basées sur les modèles ou les données paléo-climatiques. Les approches basées sur les modèles et les paléoclimats fournissent rarement des estimations de sensibilité inférieures à 2°C, alors que les approches qui utilisent des données instrumentales en ont souvent.
Un article publié en 2017 dans Nature Geoscience par le professeur Reto Knutti et ses collègues de l’ ETH Zurich recense les estimations de la sensibilité au climat des études publiées sur ce sujet depuis l’an 2000. La figure ci-dessous (extraite d’un article du site Carbon Brief ) illustre la sensibilité évaluée selon les différents types d’études. Les barres de couleur indiquent la médiane des estimations hautes et basses de la sensibilité pour toutes les études publiées depuis 2000, la médiane des meilleures estimations étant représentée par des points noirs. Chaque point indique la meilleure estimation de la sensibilité du climat d’une étude individuelle, tandis que les barres indiquent la plage de valeurs de sensibilité possibles évaluées par cette étude. La couleur indique le type d’étude (orange pour les évaluations instrumentales).
Figure 1 : Médiane des sensibilités élevée, faible et optimale estimée pour toutes les études publiées depuis l’an 2000 par type d’étude. Toutes les études sont indiquées dans la barre rouge à droite. ( Source Nature Geoscience retranscrit par Carbon brief ).
Nic Lewis et Judith Curry ont fait valoir que l’approche instrumentale est préférable car elle est basée sur des observations physiques. Cependant, les estimations à partir des enregistrements instrumentaux comportent aussi leurs propres incertitudes. Le forçage climatique du siècle dernier n’est pas purement dû au CO2 et, par conséquent, le réchauffement a été partiellement masqué par l’effet refroidissant des aérosols ainsi que par les variations du contenu calorifique des océans. Le choix la période historique choisie pour évaluer les changements de température de surface peut également avoir un impact important sur le résultat.
4. Une sensibilité climatique de l’ordre de 1,5°C
Dans un article intitulé « The Impact of Recent Forcing and Ocean Heat Uptake Data on Estimates of Climate Sensitivity » publié en avril 2018 dans la revue Journal of Climate, Judith Curry et Nick Lewis donnent leurs meilleures estimations pour l’ECS et le TCR dans le tableau ci-dessous (Figure 2). On trouvera un résumé en français de cet article sur le site Skyfall.
Figure 2 : Meilleures estimations (médianes) et fourchettes d’incertitude d’ECS et de TCR utilisant les périodes indiquées. Les valeurs en casse romaine sont les variations de température (ΔT) calculées à partir des données HadCRUT4v5 ; les valeurs en italique sont calculées à partir de données globales complètes Had4_krig_v2 (Cowan & Way). Les estimations privilégiées sont en gras. Les écarts sont exprimés à 0,05 K près. Sont également montrés les résultats comparables (utilisant les données HadCRUT4v2) de LC15 pour les deux premières périodes combinées données dans cet article. Les valeurs de l’AR5 du GIEC sont fournies à titre de référence.
Les estimations varient en fonction de la période de référence choisie; la plage de valeur est de 1,50°C à 1,67 °C pour l’ECS et 1,20°C à 1,33 °C pour la TCR.
Le site Notrickzone a de son côté recensé 85 publications (dont deux de François Gervais ici et là) évaluant une sensibilité très faible.
Toute étude économique cherchant à évaluer les coûts-avantages des politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre pourrait raisonnablement s’appuyer sur une estimation de la sensibilité climatique de 1,5°C .
[1] Une troisième façon de considérer la sensibilité au climat, la sensibilité du système terrestre (ESS), comprend les réactions à très long terme du système terrestre, telles que des modifications des inlandsis ou des modifications de la répartition de la couverture végétale.